« Les femmes s’engagent lorsqu’elles prennent conscience de leur valeur ajoutée »
Interview d’Anne Muzard
Au cours des cinq dernières années, près d’un notaire sur deux nommé en France était une femme. A l’occasion de la Journée internationale des femmes, Anne Muzard, notaire associée à Paris et rapporteur au dernier Congrès des notaires, témoigne de la féminisation du notariat et des atouts de ses consœurs.
Le notariat se féminise. Etre une femme, est-ce un frein à l’association ?
Anne Muzard. La profession se féminise progressivement. Au 1er janvier 2017, 39 % des notaires étaient des femmes contre 22 % en 2007. En mai 2016, on dénombrait 37 % de femmes notaires dans le ressort de la Chambre interdépartementale des notaires de Paris. Au cours des cinq dernières années, 49 % des nouveaux notaires nommés étaient des femmes. Ce sont néanmoins essentiellement des notaires salariées, les femmes représentant deux tiers des notaires non associés.
L’aventure entrepreneuriale est difficile à concilier avec la vie privée, mais pas seulement dans le notariat. La capacité d’organisation féminine et l’expérience héritée de nos aînées permettent de trouver un équilibre.
Les clients vous font-ils autant confiance qu’à vos confrères ?
Je n’ai pas le sentiment contraire. Les femmes occupant des postes clés étant de plus en plus nombreuses chez nos clients, entre interlocuteurs de même génération, les relations sont fluides et constructives. Si avec certains confrères, être une femme, jeune de surcroît, a pu parfois tendre les échanges, cela n’a jamais été au détriment des clients.
Y a-t-il une façon plus féminine d’aborder dossiers et rendez-vous ? Avez-vous observé des aptitudes particulières chez vos consœurs ?
A.M. Nous avons effectivement des atouts à faire valoir dans la conduite des dossiers et des rendez-vous, notamment des qualités d’écoute, d’observation, de rigueur et de précision mais aussi du sens pratique et de l’empathie. Ces qualités sont assez répandues chez mes consœurs, sans que pour autant mes confrères en soient dépourvus. Elles font de nous des partenaires fiables et pragmatiques.
Faudrait-il encourager, voire imposer la parité des élus dans les chambres ?
A.M. Je ne suis pas partisane d’une parité décrétée et organisée comme elle se rencontre dans d’autres milieux qu’ils soient professionnels, associatifs ou politiques.
La parité est, à mon sens, artificielle. Les femmes s’engagent lorsqu’elles trouvent à s’épanouir et ont une véritable conscience de leur valeur ajoutée. Au dernier Congrès des notaires à Nantes, nous étions à parité dans l’équipe sans que cela ait été particulièrement recherché.
Vous avez été rapporteur du Congrès des notaires en 2016. Parmi les propositions de l’équipe, quel sujet estimez-vous le plus porteur d’avenir ?
A.M. Il s’agit pour moi de l’un des vœux portés par la première commission (proposition 4) visant à la consécration légale des nouveaux droits réels, issus de la jurisprudence « Maison de Poésie ». Un colloque s’est tenu en janvier au Conseil supérieur du notariat, afin de présenter les applications pratiques du droit réel de jouissance spéciale (voir La Quotidienne du 10 février 2017).
Ce nouveau droit réel permet une meilleure valorisation des utilités des biens mobiliers et immobiliers. Hors du cadre contraint de l’usufruit, un propriétaire pourrait conférer à plusieurs titulaires des jouissances alternatives ou partagées, constituant ainsi plusieurs droits réels que ces titulaires pourraient céder ou donner en garantie hypothécaire.
En pratique, le droit réel de jouissance spéciale pourrait s’appliquer aux emplacements de stationnement, afin d’optimiser leur utilisation pendant les heures creuses, mais aussi aux bureaux partagés (coworking) dont le modèle économique repose actuellement sur la location et la sous-location d’espaces.
Ce « nouveau » droit réel pourrait révolutionner le droit de propriété, une révolution de la même ampleur que celle de la division en volumes, autre invention du notariat.